Amazon ne s’installe pas en Alsace

 

Le permis de construire un entrepôt était délivré, les discussions étaient avancées entre préfecture, communes et le géant de l’e-commerce. Mais jeudi, le directeur d’Amazon France a affirmé que son entreprise n’avait «pas de projet en Alsace». Au grand dam des maires mais pas des opposants et des écolos.

 

«Je ne crois plus à l’arrivée d’Amazon en Alsace.» Pascal Lacombe est soulagé. Le porte-parole du collectif d’opposants en centre Alsace, «le Chaudron des alternatives», vient de vivre une semaine faste.

 

Lundi, tous les documents d’urbanisme étaient prêts pour autoriser un entrepôt géant (189 652 m²) à Ensisheim, sous le nom d’«Eurovia 16 Project», une filiale française d’un groupe luxembourgeois de plateformes logistiques. Mardi, la réunion préparatoire en préfecture du Haut-Rhin prévue deux jours plus tard est subitement reportée, officiellement pour cause de coronavirus. Et jeudi, le directeur d’Amazon France, Frédéric Duval, répond sur BFM TV que sa compagnie «n’a pas de projet en Alsace», en nommant Ensisheim. En fin de journée, le président de la communauté de communes du pays de Barr (Bas-Rhin), Claude Hauller (DVD), confirme aux Dernières Nouvelles d’Alsace que la société américaine renonce à Dambach-la-Ville. Un autre entrepôt de même envergure était en projet depuis au moins 2019, bien que moins avancé.

 

«Changement de stratégie en Europe»

 

Reste donc une seule incertitude. Le bâtiment Eurovia 16, pour lequel le permis de construire est déjà délivré, sera-t-il loué et exploité par une autre compagnie telle Alibaba, Cdiscount et autres, ou le dossier tout simplement retiré ? «On avait assez d’éléments pour être sûrs qu’il s’agisse d’Amazon, dit Alma Dufour, chargée de campagne surproduction pour l’ONG les Amis de la Terre, qui a appuyé l’opposition locale. Il est toujours possible que nous nous soyons trompés, mais la situation des concurrents ne correspond pas à ces besoins. Et puis le maire d’Ensisheim aurait pu dire qu’il ne s’agissait pas d’Amazon s’il voulait atténuer l’opposition. On suppose que ces déclarations amorcent un changement de stratégie en Europe, avec des grands entrepôts en Europe de l’Est ou en Belgique.»

 

Dans la peau d’un forçat d’Amazon

 

La CFDT Amazon vient en effet d’annoncer la suppression de 819 emplois dans six entrepôts en France. Une telle analyse est reprise par le maire de Dambach-la-Ville. Selon Claude Hauller, c’est bien «la complexité administrative française» et «pas du tout» le contexte local qui a dissuadé Amazon, après plusieurs échanges avec un «contact». Ce vigneron, qui dévoile au passage qu’il était favorable au projet, «comme la plupart des 20 maires de [sa communauté de communes]», regrette ce choix : «On est face à un tsunami. La vraie vie ce sera bientôt Pôle Emploi. Dire que c’est la mort des commerces de proximité, ce n’est pas un propos de chef d’entreprise.» Des arguments qui le font «sourire», lui qui voyait «des investissements, des emplois directs mais aussi induits, des recettes fiscales» et «20 à 25% d’ingénieurs» sur ce site, opérationnel en deux ans.

 

«A-t-on vraiment besoin d’être livré en deux heures»

 

«Sourire», c’est aussi le mot employé par le président de la Chambre de commerce et de l’Industrie (CCI) d’Alsace, Jean-Luc Heimburger lorsqu’il a appris ces annonces. «On a décidé collectivement de ne pas s’opposer à Ensisheim, car le projet était avancé et aussi car le paysage économique du territoire y était plus favorable. Mais on était opposé à un deuxième entrepôt. Une des leçons du Covid est d’avoir une stratégie d’économie de proximité plus forte. Il faut aussi savoir dire ça suffit, quand le foncier est rare et que ces activités engendrent plus de trafic routier. A-t-on vraiment besoin d’être livré en deux heures ?» Face à la déception de Claude Hauller, il promet des «belles entreprises, nous avons des demandes». Sur ces implantations, les milieux économiques locaux ont été court-circuités. Les discussions se déroulaient entre préfectures, communautés de communes et Amazon, à coups de clauses de confidentialité. «Il est regrettable que nos représentants à la CCI n’aient jamais eu d’information sur ces négociations. Amazon dit qu’il n’y a pas de projet, comme si officiellement il n’y en avait jamais eu. Ce qui est faux», pointe Olivier Klotz, président du Medef Alsace.

 

En France, Amazon veut prendre les commandes

 

Après des mois à militer contre ces implantations, Pascal Lacombe garde «un fond de colère». «Le débat public n’a pas eu lieu», fustige-t-il. Les opposants ont multiplié les invitations et écrit à tous les élus possibles. «Quand j’entends Claude Hauller, je ne crois pas que les élus partagent notre diagnostic». Sur l’absence démocratique, il est d’ailleurs rejoint par le Medef Alsace. «Il nous faut un débat citoyen sur l’impact d’un acteur archi dominant sur la vie économique et sociale en Alsace», appuie Olivier Klotz, dont le syndicat patronal se dit «neutre» sur ces implantations. Dans un communiqué très politique rendu public la veille des annonces d’Amazon, l’Eurométropole de Strasbourg, passée aux mains des écologistes, a pris position contre ces «mégastructures», bien qu’elles se situent en dehors de son périmètre. «Il est plus que jamais nécessaire de défendre le commerce de proximité, le circuit court, une consommation responsable et des initiatives innovantes qui protègent l’environnement», appuie le texte.

 

source: Liberation

Agence Colmar