« La Suisse, l’or et les morts »

La Suisse est le deuxième pays le plus riche du monde.

Or elle ne possède aucune matière première. Sa matière première, c’est l’argent des autres, constate Jean Ziegler dans son réquisitoire cinglant contre les banquiers suisses

et leurs acolytes politiques .

 

Sans leur aide financière, les assassins nazis auraient été acculés à abandonner la guerre dès 1942, affirme le sociologue et député socialiste genevois. La Suisse, pays neutre et terre d’accueil ? Nullement. En verrouillant ses frontières en 1942 – alors qu’à cette date il connaissait l’existence des chambres à gaz -, le gouvernement suisse a livré des milliers de juifs à une mort certaine. Il a été en fait un partenaire actif et silencieux au service des bourreaux nazis. Non par idéologie raciste, mais par pure vénalité.

 

Aucun autre pays neutre – ni le Portugal ni la Suède – n’a accepté l’or volé des Allemands. Flairant des « affaires en or », les banquiers suisses ont joué les intermédiaires, les blanchisseurs de cet or provenant des banques des pays envahis ou des juifs assassinés. Le consentement du gouvernement fédéral leur était acquis. Avec les francs suisses reçus en échange de leurs lingots, le Reich a pu acheter les matières premières indispensables pour la fabrication des armes et la poursuite de la guerre. Quant aux industriels de l’armement suisses, ils livraient dès 1939 leurs engins de mort à Hitler, et ceci jusqu’en avril 1945.

Ces accusations sont basées sur des documents accablants provenant des archives autrichiennes, allemandes, britanniques et américaines ; remis au député socialiste par des hauts fonctionnaires, des banquiers et des enquêteurs, ils corroborent les révélations faites par le Congrès juif mondial depuis l’été 1996.

 

Pourquoi cette complicité avec les sbires du Reich nazi ?

Sauver la Suisse de l’annexion, à l’instar de l’Anschluss autrichien, est la raison la plus souvent invoquée par les responsables helvétiques. Justification inacceptable pour Jean Ziegler au vu des conséquences dévastatrices de cette collaboration. Pourquoi « l’autre Suisse », celle des gens simples, ne s’est-elle pas réveillée pour résister à la politique de sa classe dirigeante ? A cause d’une structure du pouvoir immuable et du fort consensus dont elle bénéficie, répond le sociologue. Depuis deux cents ans, l’édifice des classes n’a jamais été ébranlé ni par la guerre ni par la révolution. Sous l’apparence d’un pluralisme démocratique, la même oligarchie, les mêmes réseaux financiers, les mêmes familles régissent le pays. Pour cette oligarchie, être aux côtés des nazis était un moindre mal, c’était sauver la Suisse des bolcheviques et de la révolution. Toute velléité de résistance fut donc muselée et réprimée. L’étudiant Maurice Bavaud, auteur d’un attentat contre Hitler, à qui ce livre est dédié, fut livré par Berne à la Gestapo et décapité. Paul Grüninger, capitaine de police de Saint-Gall, fit entrer clandestinement 2 000 juifs en Suisse. Condamné, mis au ban de la société, il mourut pauvre et oublié en 1972 et ne fut réhabilité qu’en 1993.

 

Comment enfin expliquer la bonne conscience inébranlable des banquiers suisses, même lorsqu’ils sont confrontés avec les preuves de leur cupidité – celles d’hier et d’aujourd’hui (blanchiment de l’argent de la drogue ou de l’argent volé par M. Mobutu) ? Le sociologue explique cette bonne conscience par le calvinisme et la foi en la prédestination. La richesse financière étant considérée comme un signe de la grâce divine, de quoi les nantis se sentiraient-ils coupables ? Pour s’être attaqué à ces faux élus de Dieu mais vrais « requins de la finance », le député genevois a été privé de son immunité parlementaire et a perdu tous ses biens en d’innombrables procès. Son pamphlet est un acte de résistance, un « essai d’intervention » pour […]

 

Brigitte Pätzold  Journaliste. – Le Monde diplomatique 

 

Agence Colmar